Poème reconnais - 8 Poèmes sur reconnais


8 poèmes


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À Ernest Havet.


DERNIER MOT.

Un dernier mot, Pascal ! À ton tour de m'entendre
Pousser aussi ma plainte et mon cri de fureur.
Je vais faire d'horreur frémir ta noble cendre,
Mais du moins j'aurai dit ce que j'ai sur le coeur.

À plaisir sous nos yeux lorsque ta main déroule
Le tableau désolant des humaines douleurs,
Nous montrant qu'en ce monde où tout s'effondre et croule
L'homme lui-même n'est qu'une ruine en pleurs,
Ou lorsque, nous traînant de sommets en abîmes,
Entre deux infinis tu nous tiens suspendus,
Que ta voix, pénétrant en leurs fibres intimes,
Frappe à cris redoublés sur nos coeurs éperdus,
Tu crois que tu n'as plus dans ton ardeur fébrile,
Tant déjà tu nous crois ébranlés, abêtis,
Qu'à dévoiler la Foi, monstrueuse et stérile,
Pour nous voir sur son sein tomber anéantis.
À quoi bon le nier ? dans tes sombres peintures,
Oui, tout est vrai, Pascal, nous le reconnaissons :
Voilà nos désespoirs, nos doutes, nos tortures,
Et devant l'Infini ce sont là nos frissons.
Mais parce qu'ici-bas par des maux incurables,
Jusqu'en nos profondeurs, nous nous sentons atteints,
Et que nous succombons, faibles et misérables,
Sous le poids accablant d'effroyables destins,
Il ne nous resterait, dans l'angoisse où nous sommes,
Qu'à courir embrasser cette Croix que tu tiens ?
Ah ! nous ne pouvons point nous défendre d'être hommes,
Mais nous nous refusons à devenir chrétiens.
Quand de son Golgotha, saignant sous l'auréole,
Ton Christ viendrait à nous, tendant ses bras sacrés,
Et quand il laisserait sa divine parole
Tomber pour les guérir en nos coeurs ulcérés ;
Quand il ferait jaillir devant notre âme avide
Des sources d'espérance et des flots de clarté,
Et qu'il nous montrerait dans son beau ciel splendide
Nos trônes préparés de toute éternité,
Nous nous détournerions du Tentateur céleste
Qui nous offre son sang, mais veut notre raison.
Pour repousser l'échange inégal et funeste
Notre bouche jamais n'aurait assez de Non !
Non à la Croix sinistre et qui fit de son ombre
Une nuit où faillit périr l'esprit humain,
Qui, devant le Progrès se dressant haute et sombre,
Au vrai libérateur a barré le chemin ;
Non à cet instrument d'un infâme supplice
Où nous voyons, auprès du divin Innocent
Et sous les mêmes coups, expirer la justice ;
Non à notre salut s'il a coûté du sang ;
Puisque l'Amour ne peut nous dérober ce crime,
Tout en l'enveloppant d'un voile séducteur,
Malgré son dévouement, Non ! même à la Victime,
Et Non par-dessus tout au Sacrificateur !
Qu'importe qu'il soit Dieu si son oeuvre est impie ?
Quoi ! c'est son propre fils qu'il a crucifié ?
Il pouvait pardonner, mais il veut qu'on expie ;
Il immole, et cela s'appelle avoir pitié !

Pascal, à ce bourreau, toi, tu disais : « Mon Père. »
Son odieux forfait ne t'a point révolté ;
Bien plus, tu l'adorais sous le nom de mystère,
Tant le problème humain t'avait épouvanté.
Lorsque tu te courbais sous la Croix qui t'accable,
Tu ne voulais, hélas ! qu'endormir ton tourment,
Et ce que tu cherchais dans un dogme implacable,
Plus que la vérité, c'était l'apaisement,
Car ta Foi n'était pas la certitude encore ;
Aurais-tu tant gémi si tu n'avais douté ?
Pour avoir reculé devant ce mot : J'ignore,
Dans quel gouffre d'erreurs tu t'es précipité !
Nous, nous restons au bord. Aucune perspective,
Soit Enfer, soit Néant, ne fait pâlir nos fronts,
Et s'il faut accepter ta sombre alternative,
Croire ou désespérer, nous désespérerons.
Aussi bien, jamais heure à ce point triste et morne
Sous le soleil des cieux n'avait encor sonné ;
Jamais l'homme, au milieu de l'univers sans borne,
Ne s'est senti plus seul et plus abandonné.
Déjà son désespoir se transforme en furie ;
Il se traîne au combat sur ses genoux sanglants,
Et se sachant voué d'avance à la tuerie,
Pour s'achever plus vite ouvre ses propres flancs.

Aux applaudissements de la plèbe romaine
Quand le cirque jadis se remplissait de sang,
Au-dessus des horreurs de la douleur humaine,
Le regard découvrait un César tout puissant.
Il était là, trônant dans sa grandeur sereine,
Tout entier au plaisir de regarder souffrir,
Et le gladiateur, en marchant vers l'arène,
Savait qui saluer quand il allait mourir.
Nous, qui saluerons-nous ? à nos luttes brutales
Qui donc préside, armé d'un sinistre pouvoir ?
Ah ! seules, si des Lois aveugles et fatales
Au carnage éternel nous livraient sans nous voir,
D'un geste résigné nous saluerions nos reines.
Enfermé dans un cirque impossible à franchir,
L'on pourrait néanmoins devant ces souveraines,
Tout roseau que l'on est, s'incliner sans fléchir.
Oui, mais si c'est un Dieu, maître et tyran suprême,
Qui nous contemple ainsi nous entre-déchirer,
Ce n'est plus un salut, non ! c'est un anathème
Que nous lui lancerons avant que d'expirer.
Comment ! ne disposer de la Force infinie
Que pour se procurer des spectacles navrants,
Imposer le massacre, infliger l'agonie,
Ne vouloir sous ses yeux que morts et que mourants !
Devant ce spectateur de nos douleurs extrêmes
Notre indignation vaincra toute terreur ;
Nous entrecouperons nos râles de blasphèmes,
Non sans désir secret d'exciter sa fureur.
Qui sait ? nous trouverons peut-être quelque injure
Qui l'irrite à ce point que, d'un bras forcené,
Il arrache des cieux notre planète obscure,
Et brise en mille éclats ce globe infortuné.
Notre audace du moins vous sauverait de naître,
Vous qui dormez encore au fond de l'avenir,
Et nous triompherions d'avoir, en cessant d'être,
Avec l'Humanité forcé Dieu d'en finir.
Ah ! quelle immense joie après tant de souffrance !
À travers les débris, par-dessus les charniers,
Pouvoir enfin jeter ce cri de délivrance :
« Plus d'hommes sous le ciel, nous sommes les derniers ! »
Pascal
Poèmes de Louise Ackermann

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D'un souffle printanier l'air tout à coup s'embaume.
Dans notre obscur lointain un spectre s'est dressé,
Et nous reconnaissons notre propre fantôme
Dans cette ombre qui sort des brumes du passé.

Nous le suivons de loin, entraînés par un charme
À travers les débris, à travers les détours,
Retrouvant un sourire et souvent une larme
Sur ce chemin semé de rêves et d'amours.

Par quels champs oubliés et déjà voilés d'ombre
Cette poursuite vaine un moment nous conduit !
Vers plus d'un mont désert, dans plus d'un vallon sombre,
Le fantôme léger nous égare après lui.

Les souvenirs dormants de la jeunesse éteinte
S'éveillent sous ses pas d'un sommeil calme et doux ;
Ils murmurent ensemble ou leur chant ou leur plainte,
Dont les échos mourants arrivent jusqu'à nous.

Et ces accents connus nous émeuvent encore.
Mais à nos yeux bientôt la vision décroît ;
Comme l'ombre d'Hamlet qui fuit et s'évapore,
Le spectre disparaît en criant : Souviens-toi !
Le fantôme
Poèmes de Louise Ackermann

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